RÉSIDENCE D’ÉCRITURE 2013
Publié le 2 avril 2013
SUGGESTIONS DE LECTURE – Romans de ma bibliothèque personnelle (M à Z)
Dans ma bibliothèque, les romans dont je ne me séparerais pas, qui ont marqué mon parcours de lectrice et d’écrivaine. (M à Z)
MARTEL, Yann. L’histoire de Pi, Denoël 2003 [Folio junior (sic !) 2006] Je n’ai pas crié au génie, mais j’ai trouvé ce roman d’une lecture agréable. Par ailleurs, j’ai été complètement sciée par la culture que démontre l’auteur dans le recueil des lettres adressées au Premier Ministre Stephen Harper, Mais que lit Stephen Harper ? (XYZ, 2009). Foncez sur ce recueil. Découvrez l’art avec lequel Martel suggère des lectures fondatrices et explique en quelques lignes en quoi elles sont importantes.
MARTIN, Claire. L’amour impuni, L’instant même, 2000. De mes études de lettres, je conservais le souvenir de textes forts qu’étaient Dans un gant de fer et La joue droite, Cercle du livre de France 1965 et 1966. J’avais perdu de vue l’écrivaine jusqu’à ce que je tombe en librairie sur ces bijoux de petits livres reliés à l’ancienne (couverture rigide, cousus, tranchefile et tout) : L’amour impuni et La brigande (2001). Des livres qui tiennent bien dans la main et dont la beauté fait qu’on a envie de les ouvrir. Ce bonheur accompli, on retrouve la langue châtiée d’une écrivaine aguerrie, son style alerte et efficace, les questions pertinentes qu’elle soulève. Réel bonheur de lecture.
MICHENER, James A. Cheasapeake, Seuil, 1979. Parce que se laisser emporter par de grandes sagas, c’est pur bonheur.
NEPVEU, Pierre. Gaston Miron, la vie d’un homme, Boréal, 2011. Ce livre m’a été offert par un ami. C’était déjà une bonne raison de le lire. Il y a aussi que, étudiant en Lettres, j’aivais lu L’homme rapaillé ; et travaillant dans l’édition à la même époque que Miron, j’ai croisé le personnage ici et là. Le livre de Nepveu est extrêmement bien documenté. Le style alerte. Et il répond à mes coupables interrogations de toujours : comment arrive-t-on à devenir le poète national quand on est un homme si tourmenté qui n’a, dans les faits, écrit qu’un seul livre ? Découvrir l’homme par le biais de cette biographie magistrale, c’est aussi revivre ou découvrir son époque.
PANCOL, Katherine. Les yeux jaunes des crocodiles (2006), La valse lente des tortues (2008), Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi (2010), Albin Michel / Livre de poche. J’ai lu cette série d’un trait à l’été 2011. Le premier tome est impeccable, haletant. Malgré un relâchement de l’écriture dans le second et surtout le troisième tome, qui a un peu brouillé mon plaisir, j’ai été habitée par l’histoire de Joséphine et de ses filles Hortense et Zoé. Quand un auteur sait raconter, on lui pardonne beaucoup.
PÉJU, Pierre. La petite Chartreuse, Gallimard 2002 / Livre de poche 2004. Ce roman m’avait coupé le souffle. Sidération devant la facilité avec laquelle la conjonction de hasards peut renverser une vie. Un effet du ton, je pense, en plus des événements racontés. Exemple :
« Le silence retombe, la lumière décline, la pluie redouble.
« Tout peut avoir lieu, donc le pire. Car il rôde lui aussi dans la meute des possibles. La hyène du pire trottine au hasard dans la banalité. » (Poche, p. 13)
PENNAC, Daniel. Au bonheur des ogres, Gallimard, 1985. La fée carabine, La petite marchande de prose… Les titres de Pennac sont autant de bonheurs que la langue dans laquelle ils se déploient. Comme un roman, où l’auteur expose les droits imprescriptibles du lecteur n’a plus besoin de présentation.
POULIN, Jacques. Volkswagen Blues. Québec Amérique, 1984. Ce roman a eu un énorme impact sur moi. Je vivais comme un écho la quête désespérée de Jack, désireux de revoir son frère et inquiet, en même temps, de ce qu’il s’apprête à découvrir. J’avais parlé avec enthousiasme de ce roman dans ma chronique à l’émission Au jour le jour, à la télévision de Radio-Canada, et écrit un mot à l’auteur. Dans mes cartons, je conserve précieusement un mot de Jacques Poulin qui m’écrivait, le 5 juin 1984 : « Pour ce qui est de votre propre livre, je voudrais vous dire de ne pas oublier que vous n’êtes pas toute seule quand vous écrivez, puisque, comme le dit la Grande Sauterelle, ˝un livre n’est la plupart du temps qu’une partie d’un autre livre plus vaste auquel plusieurs auteurs [collaborent] sans le savoir˝. Nous serons plusieurs à regarder amicalement par-dessus votre épaule quand vous écrivez. » Je ne suis pas sûre cependant que cette lettre (oui, oui, manuscrite !) m’ait armée de plus de confiance…
PROULX, Monique. Les aurores montréales, Boréal 1996 / Boréal compact 1997. Je ne suis pas grande lectrice de nouvelles. Trop court. J’aime entrer plus avant dans la vie des personnages. Pourtant, j’ai savouré celles de Monique Proulx, qui maîtrise bien les lois du genre —qualité plus rare qu’on ne croit.
QUENEAU, Exercices de style, Gallimard 1947 / Folio 1982. Une démonstration véritablement inspirante de l’effet du style sur un paragraphe. La brève histoire d’une rencontre, racontée 99 fois de manières différentes : désinvolte, avec hésitations, avec précision, de manière subjective, tactile, visuelle, gastronomique, « modern style », etc. Un incontournable pour qui s’intéresse à l’écriture et à ses procédés.
RACINE, Jean. E. Souvenirs en lignes brisées, écrits intimes, Leméac, 1969. Jean E. Racine est peu connu. La plupart de ses livres sont posthumes. À la fois homme d’affaires et poète, il a publié ses mémoires alors qu’il se savait atteint d’une maladie incurable. J’ai lu quelques fois ce recueil de souvenirs, à l’époque de sa parution et une dizaine d’années plus tard. Il y a longtemps, donc. J’ai tout oublié de l’homme (honte à moi), mais l’effet que son livre a produit sur moi reste intact. Le ton, encore, celui murmuré de la confidence ; et des questions profondes qui nous viennent sur la vie, quand on se sait en train de la perdre.
RILKE, Rainer Maria. Lettres à un jeune poète, Grasset, 1937. Je ne sais pas comment il se fait que je ne connaisse pas ce livre par cœur. Je le lis au moins une fois par année (souvent plus) depuis vingt ans. « Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l’accusez pas. Accusez-vous vous-même de ne pas être assez poète pour appeler è vous ses richesses. » (p. 22) — « Ne vivez pour l’instant que vos questions. Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses. (p. 44) — « Nous savons peu de choses, mais qu’il faille nous en tenir au difficile, c’est là une certitude qui ne doit pas nous quitter. Il est bon d’être seul parce que la solitude est difficile. Qu’une chose soit difficile doit nous être une raison de plus de nous y tenir. / Il est bon aussi d’aimer ; car l’amour est difficile. L’amour d’un être humain pour un autre, c’est peut-être l’épreuve la plus difficile pour chacun de nous, c’est le plus haut témoignage de nous-même ; l’œuvre suprême dont toutes les autres ne sont que les préparations. » (p. 75) Mon exemplaire de ce petit livre est en pièces. Il faudra, un jour, que je m’en offre une belle édition. Si cela existe.
ROY, Gabrielle. Bonheur d’occasion, 1945. Un immense coup de foudre qui non seulement résiste à la relecture, mais s’enracine plus profondément en moi chaque fois. Cette capacité à traduire l’essence d’une époque et l’étau effarant de la pauvreté.
SAINT-EXUPÉRY, Antoine (de). Vol de nuit (1931), Terre des hommes (1939), et… Le Petit Prince (1943), bien sûr. J’ai découvert Le Petit Prince à 8 ou 9 ans, grâce à un enregistrement 33 tours. Je suivais d’un index studieux dans le texte la voix inimitable de Gérard Philippe, que j’entends encore, quand je relis ce conte. Durant mes études en littérature, je suis passée à côté de ses autres ouvrages. Complètement ! J’étais dans la brume alors, occupée à survivre. Je les ai relus au printemps 2012 dans un incroyable éblouissement. « Ce que nous sentons quand nous avons faim… c’est que la genèse n’est point achevée et qu’il nous faut prendre conscience de nous-même et de l’univers. Il nous faut, dans la nuit, lancer des passerelles. » (Terre des hommes, Folio, p. 178) — « Et chaque sentinelle est responsable de tout l’Empire. » (Ibid. P. 176)
SCHMITT, Eric-Emmanuel. Oscar et la dame rose, Albin Michel, 2002. « Cher Dieu, Je m’appelle Oscar, j’ai dix ans, j’ai foutu le feu au chat, au chien, à la maison (je crois même que j’ai grillé les poissons rouges) et c’est la première lettre que je t’envoie parce que jusqu’ici, à cause de mes études, j’avais pas le temps. » Vous pouvez résister à cela, vous ? Moi, pas ! Un bijou de petit livre sur l’inacceptable, la mort d’un enfant. Écrit dans une langue simple, « pour que ma grand-mère puisse le lire », dixit l’auteur. Dans la même veine, irrésistible, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran (2001). Dans La part de l’autre (2001), Schmitt s’est interrogé sur ce qu’il serait arrivé si Hitler n’avait pas été recalé à l’École des Beaux-Arts de Vienne —et sur la part de ténèbres qui sommeille en chacun. J’ai parfois du mal à suivre l’auteur dans ses explorations audacieuses, telles que Lorsque j’étais une œuvre d’art (2002)
SEPULVEDA, Luis. Le vieux qui lisait des romans d’amour. Un autre livre qui n’est plus dans ma bibliothèque, car je l’ai prêté… Lecture lumineuse.
SIJIE, Dai. Balzac et la petite tailleuse chinoise, Gallimard, 2000. Dès les premières pages, une réplique donne très fort envie d’entrer dans cette histoire. Lisez un peu :
« — Comment elle s’appelle, ta chanson ?
— Ça ressemble à une chanson, mais c’est une sonate.
— Je te demande un nom ! cria-t-il, en me fixant droit dans les yeux.
De nouveau, les trois gouttes de sang de son œil gauche me firent peur
— Mozart… hésitai-je.
— Mozart quoi ?
— Mozart pense au président Mao, continua Luo à ma place.
Quelle audace ! Mais elle fut efficace : comme s’il avait entendu quelque chose de miraculeux, le visage menaçant du chef s’adoucit. Ses yeux se plissèrent dans un large sourire de béatitude.
— Mozart pense toujours à Mao, dit-il. »
SÜSKIND, Patrick. Le Parfum, Fayard, 1986. L’histoire de Jean-Baptiste Grenouille, parfumeur de son métier, me donne encore froid dans le dos. Véritable réussite que ce premier roman ! J’ai aussi beaucoup aimé Le Pigeon, Fayard, 1987)
SUYIN, Han. Le soleil en embuscade. Robert Laffont, 1995. Ma mère lisait Han Suyin, quand j’étais enfant. Multiple Splendeur et Destination Chungking font donc partie de mes lectures d’adolescence. Le soleil en embuscade m’a été offert par mes enfants, qui ont fait la queue un long moment, au salon du livre de Montréal, en novembre 1995, pour m’en offrir un exemplaire dédicacé. Han Suyin vit désormais à Lausanne. Cette histoire se déroulant à Genève, j’ai aussi le plaisir de « revoir » des paysages que j’ai fréquentés, durant mes années suisses (2002 à 2009).
THÚY, Kim. Ru, Libre expression, 2009. À peine rentrée de Suisse, je renoue avec mes habitudes. Au volant de la voiture, je syntonise Radio-Canada, où Jean Fugère présente avec ferveur un tout petit livre d’une inconnue. Il est si convainquant que je fais un détour par la librairie, en priant pour que le livre soit déjà sur les rayons. Il y est. Je l’emporte et le lis dans la journée. Un superbe voyage (si j’ose dire), avec les boat-people. Mais surtout dans une langue manipulée par une écrivaine qui prétend ne pas la maîtriser encore. Une histoire de coup de foudre en deux temps : les mots de Jean Fugère pour parler de ce livre ; et la lecture que j’en ai faite sur le champ.
TREMBLAY, Michel. La grosse femme d’à côté est enceinte, Leméac, 1978 / BQ 1990. Mon père a toujours insisté pour que nous parlions un français impeccable. Impossible de terminer une phrase sans nous faire reprendre. J’avais les yeux tournés vers la France : littérature, cinéma. J’ai donc assez mal réagi à l’arrivée des Belles-Sœurs au Théâtre du Rideau-Vert en 1968 et à tout le courant joual. J’étudiais alors en Lettres (cégep et université) : les débats à ce sujet étaient vifs et nombreux. La lecture de La grosse femme… puis de tout le cycle des Chroniques du Plateau Mont-Royal, m’a presque convaincue. C’est plein de poésie, cette langue. Encore faut-il la manier avec le génie d’un Tremblay ou, aujourd’hui, d’un Fred Pellerin. Alors, là, oui, je marche ! Mais je serais bien incapable d’écrire, voire de parler longtemps de la sorte.
VOISARD, Alexandre. Le mot musique ou L’Enfance d’un poète, Bernard Campiche, 2004. Avant de vivre en Suisse, j’avais lu bien sûr Blaise Cendrars (L’Or, Moravagine), Jean-Luc Benoziglio (magnifique Cabinet-portrait) ; Pierre Billion (Montréalais d’adoption, L’enfant du Cinquième-Nord) ; Agota Kristof (Hongroise d’origine, Suisse d’adoption, ayant écrit son œuvre en français, à Neuchâtel. Le grand Cahier, inoubliable) et d’autres… dont j’ignorais qu’ils étaient suisses. Du canton du Jura, je rapporte un coup de cœur, ce Voisard qui présente, comme l’annonce le sous-titre, l’enfance (du) poète.
WOOLF, Virginia. Trois guinées, des Femmes, 1978. Un texte bouleversant, fort, maîtrisé, nourri à la colère, à l’impuissance ; surtout à une intelligence et une lucidité incontestables. La première fois que j’ai pris connaissance de ce texte, c’est du haut d’un escabeau. J’étais en train de repeindre une pièce du premier logement où, jeune divorcée, je vivrais seule —entendre sans homme, et avec mes deux bébés. Au lieu de mettre de la musique, j’avais glissé dans l’appareil une cassette audio : Coline Serreau lisait ce texte, que je suis rapidement allée me procurer par la suite en librairie pour le relire à mon rythme et en entier. C’est le plus fort, pour moi, de tout ce qu’a écrit Virginia Woolf, dont j’ai lu par ailleurs les romans, le Journal, la Lettre à un jeune poète, L’art du roman, etc.
Dans ma bibliothèque « noire », se trouvent encore Raymond Chandler, Agatha Christie, évidemment, plusieurs (tous ?) Michael Connally (Le Poète, brrr…), tous les titres d’Elizabeth George, Patricia Highsmith, Arnaldur Indridason, la série Millénium du très regretté Steig Larsson, John Le Carré, quelques Donna Leon, tous les policiers de Henning Mankell, quelques Fred Vargas, Janwillem Van De Wetering et… même s’ils n’y sont pas tous, j’ai lu tous les Maigret de Simenon, bien sûr !