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Rangée de casiers postaux.
Qu’elle est longue à venir, parfois, la réponse de l’éditeur !

Ça y est ! Petit est né. Enfin, presque…

Tout le monde l’appelle Petit, ce gamin, ce qui ne cesse de l’étonner, car il est plutôt grand pour son âge. Il s’explique d’autant moins ce surnom que des noms, il en a à revendre. On n’aurait qu’à demander, il en fournirait à la pelle. Mais, personne ne demande. Il ne s’en formalise pas. Tout le monde appelle bien sa mère Madame.

Le long chemin jusqu’au livre

Il a fallu compter en années le travail pour lui donner de l’allant à ce gamin. Du déclic original (2012) en passant par le développement de l’idée, la rédaction d’un premier jet à coups d’essais et d’erreurs, les commentaires d’un comité restreint de lectrices (printemps 2018), la redéfinition de certains personnages (motivations réelles? quêtes précises?), le resserrement de la narration, l’écriture d’une deuxième version, le peaufinage d’une troisième… Encore deux semaines pour la rédaction d’une lettre de présentation, d’un résumé stimulant et la mise à jour d’une notice biographique. 

Le manuscrit compte 230 pages aérées, un peu moins de 275 000 caractères. Enfin présentable à l’éditeur élu, dûment imprimé selon ses spécifications, je dépose L’accordéon, Madame et moi à ses bureaux fin novembre 2018. En personne, pour éviter les retards indus que pourraient générer des grèves tournantes aux Postes.

L’attente

À bientôt mi-février, j’attends toujours une réponse que, bien naïvement, j’espérais voir surgir parmi mes cadeaux de Noël. Vœu tout à fait déraisonnable, s’il en est un. L’attente paraît longue, mais le délai est, hélas, on ne peut plus normal.

Entre temps, j’essaie de penser à autre chose. Délaissant les traditionnels arrosages de plantes, grands ménages et autres activités d’évitement, je me suis immédiatement attelée au roman suivant. Je dis « suivant », mais j’y travaille en réalité depuis plus longtemps encore qu’à celui que je viens de déposer. Je planche sur Karen et Adrien depuis 2010, avant même le déclic qui m’a lancé sur les traces de Petit. J’en suis à la troisième version. C’est dire le temps que cela me demande pour faire mûrir mes histoires.

Je suis une écrivaine lente. Si L’accordéon, Madame et moi est accepté par l’éditeur, le roman paraîtra au mieux en 2020. Peut-être même seulement en 2021. C’est que le programme d’édition est chargé, chez l’Élu. Si celui-ci refuse le manuscrit, je le proposerai ailleurs. Mes deuxième et troisième choix sont tout aussi valables. Seulement, l’attente reprendra, ajoutant des mois aux années. Il faudra probablement compter autour de dix années entre les premiers mots et le livre. Quelle motivation nous fait tenir si longtemps sur la corde raide, nous, les auteurs lents ?

Je m’étonne parfois de me poser la question. Tout le bonheur de l’écriture ne consiste-t-il pas à écrire ? Bien sûr, tenir le livre entre ses mains, le feuilleter, procure une certaine satisfaction. Le savoir accueilli, une plus grande encore. Rien ne bat le commentaire spontané et enthousiaste d’une lectrice, d’un lecteur. Mais le bonheur, le vrai, ne réside-t-il pas dans l’acte même d’écrire ? Ce qui le constitue, c’est de sentir qu’en utilisant tel mot plutôt que tel autre, on fait surgir de l’inattendu; qu’en tournant la phrase de cette manière-ci plutôt que de celle-là, on cerne davantage le sujet; qu’en parlant au plus serré de soi, on témoigne d’une vérité universelle; que mot après mot, virgule après virgule, on trace son sillon, dans l’espoir qu’il en sortira quelque chose. Quelque chose de modeste, peut-être; mais de noble.

Noblesse dans l’accomplissement

Un personnage de roman, c’est n’importe qui dans la rue, mais qui va jusqu’au bout de lui-même.

Georges Simenon

Petit rêve grand. Il déteste le compromis. Karen et Adrien mordent dans leurs rêves et s’imposent d’aller au bout de leurs convictions avec rigueur et persévérance. Les personnages nobles, me fascinent. Dans mes histoires, j’essaie d’explorer une manière exigeante d’être au monde. La seule, pour moi, qui soit vraiment satisfaisante. Elle reste bien difficile à adopter dans la réalité, mais n’en demeure pas moins un idéal vers lequel je souhaite tendre.

Aussi, quand l’impatience me saisit devant le temps que met l’Élu à déclarer son intention de consommer (ou pas), je me rappelle à l’ordre. Mon travail n’est pas d’enfiler les ententes de publication, mais de peaufiner le texte. Mot après mot. Page après page. Telle est ma réalité. Tel est le métier que j’aime.


Les ouvrages de Julian Barnes, grand format et format de poche, empilés.

Une année Julian Barnes se termine. Je vis un petit deuil, ma foi. Je dois me contenter d’espérer qu’il écrira encore, souvent et beaucoup – ou de le relire. Je crains d’être en manque. 

Je termine la lecture de ses livres traduits et encore disponibles en français, pour les plus anciens (dix-huit titres : romans, nouvelles, récits, essais) en même temps que j’appose ce que j’espère être le point final au manuscrit où je raconte mon histoire d’amour avec Pierre-Alain. Un roman que j’ai mis longtemps à écrire. Sept années (mes cycles vont souvent ainsi par groupe de sept années) où Pierre-Alain n’était pas encore tout à fait mort. Il vivait avec moi, en moi, par l’écriture. 

À présent, ça y est, je dois le laisser partir. En même temps que Barnes, dont j’ai terminé les ouvrages. Double deuil.