BILLETS D’HUMEUR

Publié le 24 janvier 2015

L’auteur et la traduction

J’ai souvent pensé que les auteurs devaient se sentir à la fois fiers et perplexes devant la traduction de leurs ouvrages. J’avais raison, en tout cas en ce qui me concerne. Devant la traduction coréenne de mon album Papa, maman, nos livres et moi, je ressens un soupçon de fierté, beaucoup d’inquiétude et une étrange distanciation.

Jusqu’à présent, aucun de mes livres n’a été traduit. Ce qui se passe pour ce titre constitue donc une nouvelle expérience pour moi. Il vient de paraître en coréen juste avant Noël (enfin j’imagine, puisque nous recevons en janvier les justificatifs de parution) et sortira en arabe dans le courant de cette année, si tout va bien. Ces publications en langues étrangères devraient constituer un événement dans ma vie d’auteure. Je devrais me sentir excitée, éprouver un (bref) sentiment d’achèvement, avoir le sentiment qu’une étape est franchie, quelque chose ! Eh bien, rien, ou presque. (Surtout, ne le dites pas à mon éditeur, qui se décarcasse autour de la planète pour vendre des droits.) Un soupçon de fierté, tout de même, à l’idée que mes mots ont touché des éditeurs étrangers et que, grâce à eux, ils rejoindront peut-être des lectrices et des lecteurs de cultures si différentes de la mienne. Heureuse de savoir que, grâce au travail de ces éditeurs (incluant celui des éditions Les 400 coups, pour l’édition originale), mes mots créent des ponts entre ces mondes. Pourtant…

Sous mes yeux à l’écran de l’ordinateur, la couverture du livre. (Mon éditeur m’enverra le format papier la semaine prochaine.) Je reconnais les illustrations de Josée Bisaillon, bien sûr, mais pour le reste… Je vois de curieux caractères, des signes auxquels je ne comprends rien. Je ne reconnais rien, pas même mon nom !

Grâce à une fonction de traduction trouvée sur Google, j’arrive à constater qu’on n’a pas triché : mon nom apparaît bien en couverture, ainsi que celui de Josée. À côté de nos noms en apparaît un troisième, que je n’arrive pas à déchiffrer : celui du traducteur ou de la traductrice, sans doute. Mais comment en avoir la certitude? Si je tape le titre dans la fenêtre de traduction, ça donne tout à fait autre chose que ce qui paraît sur la couverture coréenne. A-t-on changé le titre? Pour dire quoi? Ça m’intéresserait de savoir ce que l’éditeur coréen a choisi comme formule pour attirer sa clientèle. Je me demande même si Simon de Jocas, mon éditeur, est au courant.

Soudain, un doute… Si on a changé le titre, on a fort bien pu changer le texte aussi! Que me fait-on dire dans cet album? Je n’ai aucun moyen de vérifier si on a respecté et l’esprit et la lettre. Quoique… la lettre, peut-être pas. Il y a des questions de sensibilité, dans les traductions. Je peux fonctionner à la confiance, bien sûr. Je dois, à vrai dire ! Je n’ai guère le choix. Tout de même, ça me tracasse un peu, cette perte totale de contrôle sur ce qu’on me fait dire.

Encore une fois, je mesure l’avantage des illustrateurs, qui voient du premier coup d’œil si on a modifié leur œuvre ou pas. Que le titre paraisse en allemand, en arabe ou en chinois, l’image reste partout la même, elle ! S’il y a censure, l’artiste s’en aperçoit facilement. La vérification que devrait faire l’auteur pour s’assurer de la conformité de son texte est autrement plus compliquée… Du coup, il ne la fait pas.

Il reste, au final, que je dois accepter une certaine distance. L’œuvre ne m’appartient plus. C’est plus difficile qu’on le croit d’apprivoiser cette idée. Puisqu’il vaut mieux regarder par devant, je vais plutôt me concentrer sur les livres qu’il me reste à écrire. Ça va m’aider à conserver ma sérénité.

Catégories

Archives