JOURNAL D’ÉCRITURE
Publié le 18 février 2014
JOURNAL 2014.01.04 – De l’or dans les fissures
Ce soir, la solitude est difficile à supporter. Il n’y a que l’écriture et moi. Des mots à l’écran qui ne prennent pas dans les bras, ne passent pas la main dans les cheveux, ne murmurent pas à l’oreille. Des mots qui n’emmènent ni jouer dehors ni souper au restaurant.
Il n’y a pas de distraction possible. J’ai beau mettre de la musique, allumer un feu dans l’âtre, m’offrir un verre de vin : rien. Elle est là qui me regarde, qui se moque de mes efforts dérisoires pour la fuir. J’appelle Rilke au secours. « Il faut s’en tenir au difficile. » J’y crois, deux minutes, puis ma foi s’évapore.
C’est la vie que j’aie choisie, c’est la vie que j’ai.
C’est une vie difficile. Il n’y a personne que soi pour ramer. Personne que soi pour ramener à bon port. Ce soir, non seulement je rame à contre courant, mais j’ai le sentiment que, une fois atteint, le port ne tiendra pas ses promesses. Pas le sentiment, non : la certitude. Comme si je savais que telle est la vie. On rame. Point. Je reviens encore et toujours à Sisyphe et à son rocher.
En quoi ma vie est-elle plus difficile que celle de l’ouvrier qui jour après jour presse le même bouton sur la même machine? Plus éprouvante que celle de la mère qui s’épuise à tout mener de front, le travail, les courses, les enfants, et qui veille encore la nuit pour coudre, écrire, composer sa musique ou travailler la terre ? Que le camionneur qui paie cher la liberté des grands espaces, toujours loin de chez lui, dont chaque pause, chaque détour est désormais relaté au patron par un témoin GPS? Si ça se trouve, ma vie est encore plus facile que celle de la plupart des gens. Je me plains, alors que je suis riche.
Mon accablement vient de ce que je n’écris pas l’œuvre que je voudrais écrire. Je ne suis pas à la hauteur. Je me déçois.
Envie de me dire : « Ta gueule, Marcotte ! Cesse de te plaindre, et écris ! »
***
Il me vient l’image de cette céramiste. Elle travaille longuement la terre au tour. Le vase prend forme. Quand elle en est à peu près satisfaite, elle le fait cuire. Ça tient la route. Elle le vernit et le remet au four. Il est tout beau. Elle en est presque fière. La teinte qu’il a prise à la cuisson est unique. C’est magnifique, mais c’est un effet du hasard. Ils ne le savent pas, mais elle en est consciente. Cette œuvre n’est pas tout à fait la sienne. Quelque chose dedans ne lui appartient pas. Elle ne peut pas s’en réclamer, en tirer fierté ni satisfaction.
Elle pose tout de même la pièce sur une étagère dans son atelier boutique. Lorsqu’on la félicite, les compliments ne lui paraissent pas mérités. Elle les reçoit avec gêne. Ils lui pèsent, même. Elle se reproche l’imposture. De sorte que, lorsque la pièce se fendille inexplicablement, quelques jours plus tard, elle est presque soulagée de la retirer de son éventaire. En même temps, le vide laissé sur l’étagère crie mensonge et trahison. Elle ne sait plus si elle est triste ou soulagée de la situation. Des semaines plus tard, la pièce lui manque encore. Elle la regrette. Il y avait un degré de savoir-faire dans cette œuvre qu’elle n’avait jamais atteint. Elle a le sentiment de s’être trahie en retirant la pièce. En même temps, elle ne peut pas laisser sur les étalages une pièce fêlée.
C’est en regardant travailler un ami joailler que lui vient l’idée. Elle fait fondre de l’or et en emplit la fissure de son vase. La fissure devient sa signature.
…
Je crois tenir là le sujet d’une nouvelle.