BILLETS D’HUMEUR
L’écrivain numérique
Internet, les réseaux sociaux, le numérique influent sur le travail de l’écrivain, il y a peu de doutes là-dessus. Mais comment ? Jusqu’à quel point ? Constituent-ils une aide ou un défi pour l’auteur dans la vie de tous les jours ? Au fond, notre métier a-t-il vraiment changé avec les réseaux sociaux?
Pour célébrer ses 20 ans, l’Association des auteurs de la Montérégie organisait récemment une série de tables rondes. Se tenait, à la librairie St-Germain de St-Hyacinthe, une rencontre animée par Anne-Marie Aubin. J’y participais en compagnie de Philippe Béha et d’Alessandro Cassa. Le thème portait sur cette question : une occasion pour moi de prendre conscience de mon rapport aux réseaux sociaux et au numérique et de vérifier à quelle distance je me trouve de mes collègues créateurs.
De la plume au clavier
D’entrée de jeu, cette question ramène un souvenir : celui d’une discussion avec Jacques Godbout, au début des années 1980. Alors que je remplaçais avec soulagement (et émerveillement) ma vieille Underwood par un Mac, l’illustre écrivain affirmait, lui, ne travailler qu’à la plume, donner à taper ses manuscrits à l’externe. Il avouait même ne jamais entamer l’écriture d’un roman sans d’abord en tenir le titre. Le titre, moi, me vient en dernier. Je n’écris à la plume que rarement, dans mon journal surtout. Il ne me viendrait plus à l’idée d’entreprendre un roman, même une simple lettre, autrement qu’au clavier ! J’ignore si Godbout est toujours aussi solidement accroché à sa plume ; mais, pour moi, les temps ont vraiment changé.
De la même génération que moi, l’illustrateur et auteur Philippe Béha ne s’est pas laissé tenter par les sirènes de l’informatique. À sa défense (si défense il faut prendre), les outils pour l’illustration n’étaient pas aussi perfectionnés à l’époque. Il n’aimait pas le rendu, qu’il trouvait trop plat. Les logiciels, depuis, ont fait des pas de géants. Béha admet être fasciné par ce que ses étudiants et la nouvelle génération d’illustrateurs arrivent à faire avec ces outils ; mais pas au point de s’y mettre. Rattraper son retard technique lui demanderait trop de temps. Puis, il aime l’odeur de l’encre, avoir les doigts tachés et, surtout, les bévues créatrices que le travail manuel occasionne.
De plusieurs années notre cadet, Alessandro Cassa est probablement né avec l’informatique ou pas très longtemps avant. Si j’ai bien compris, il ne se passerait pas, lui non plus, de l’ordinateur pour écrire. Tombé dans la marmite quand il était petit, il n’a pas eu à faire un saut quantique –du moins pour l’écriture. Utiliser l’ordinateur lui semble naturel. Pourtant, architecte de formation, il a tout de même vécu une révolution avec les logiciels : la préparation des maquettes, leur présentation, n’a plus rien à voir, avec ce qu’Autocad permettait –ou pas. Grâce au courriel, Cassa ne sent pas la distance avec son éditeur belge –ce qui me rappelle que je travaillais aussi bien depuis la Suisse avec mes éditeurs québécois. Est-on vraiment étonné de constater qu’Internet abolit la distance et élargit le marché ?
Ce n’est pas le logiciel qui écrit
Un immense progrès, par ailleurs, que ces logiciels qui vous alertent sur les déficiences de l’orthographe et de la grammaire, rappellent que les phrases sont longues, permettent de corriger une erreur ou de récrire une phrase en page 324, sans avoir à retaper tout le texte en amont. Et que dire du bonheur de la fonction copier/coller, de la possibilité de conserver des traces du travail. Il est facile de multiplier les essais, les reformulations, de varier le style jusqu’à trouver le bon ton, le bon rythme, le mot précis. Gare, toutefois, à ne pas se perdre dans les versions successives. Il est tentant de nourrir une insatisfaction chronique, et de ne plus avancer dans la rédaction de l’ouvrage.
Quand on se trouve devant la page blanche ou l’écran, le sentiment du progrès est mince. Il faut toujours inventer les histoires, créer des personnages crédibles, les mettre dans des situations vraisemblables, leur imaginer des ennemis et des obstacles insurmontables, les amener à vaincre les premiers, leur faire franchir les derniers avec adresse et constance. Écrire cela dans un style adapté au public, de toute manière clair, efficace, convaincant. L’ordinateur ne fait rien de tout cela pour nous, à part nous permettre de nous trouver facilement devant une page lisible.
Avantages et inconvénients
Les réseaux sociaux et Internet facilitent le travail. Les moteurs de recherche épargnent des heures de déplacements en bibliothèque ou dans les archives. On peut même se promener dans des lieux étrangers sans avoir à débourser pour l’avion et l’hôtel. Évidemment, ce n’est jamais comme de se rendre sur place, de vibrer au rythme d’une ville, d’en sentir les odeurs, d’entendre sa musique propre ; mais tout de même. Quant aux réseaux sociaux, combien de fois par jour ne peut-on y découvrir des appels d’auteurs : « Facebook, sais-tu si ? Connais-tu quelqu’un qui… ? Que penses-tu de… ?» On y valide son travail et on fait la promotion de sa production. Ces outils donnent un formidable coup de pouce à la promotion et permettent de lancer l’indispensable bouche à oreille.
Pourtant, l’impact sur les ventes reste nul. Étrange constat: « 75 000 clics « j’aime » à la parution d’un album ne le fait pas vendre davantage que les précédents », assure Alessandro Cassa. Les ventes se maintiennent, même si plus de gens ont eu vent de la publication. Quant à Philippe Béha et moi, bien que nous comptions tous deux des parutions numériques, nous n’avons pas vu les ventes exploser non plus. En réalité, nous avons même tendance à oublier que certains de nos ouvrages sont aussi disponibles en format numérique ! Au point que, de mon côté, j’ai omis de les déclarer au programme du Droit de prêt public, le mois dernier. Il faudra que je me mette un pense-bête pour l’an prochain.
Comme je me perdais durant des heures dans les pages des livres à la bibliothèque, je m’égare aujourd’hui dans les avenues que proposent Internet et les réseaux sociaux. L’envie est grande, certains jours, de réagir à chaud à l’actualité. Il faut apprendre à prendre son temps, à modérer ses transports et à considérer les différents aspects d’une question avant de prendre position. Ce simple bon sens nous échappe parfois, tant il est facile de réagir dans l’instant, au risque de le faire sans information ni recul. Comme le dit un de mes amis, sur Facebook, « il est urgent d’attendre. »
Ces « dangers » sont toutefois compensés par les avantages. Ainsi, j’aime que les réseaux sociaux m’informent de l’existence de certains blogues liés au métier d’écrivain, réservent des pages à des groupes fermés (d’écrivains par exemple ou des membres d’une association), me donne la possibilité d’informer mes connaissances et un public plus large de l’ajout d’un article sur mon site web, comme je l’ai fait pour celui-ci.
Au final, cette table ronde me permet de réaliser que je n’ai pas trop pris de retard. Je connais les outils et les utilise régulièrement, plus que certains collègues même. Je suis bien de mon temps. Que voilà, ma foi, une pensée rassurante à mon âge ! (Rire)