JOURNAL D’ÉCRITURE

Publié le 24 août 2016

Le choix du narrateur

David Foenkinos a une écriture très intéressante. C’est à la fois léger, subtil, plein d’humour, gros pour ne pas dire énorme, et délicat. Des les premières lignes, le roman Les Souvenirs fonctionne. C’est magique.

Il pleuvait tellement le jour de la mort de mon grand-père que je ne voyais presque rien. Perdu dans la foule des parapluies, j’ai tenté de trouver un taxi. Je ne savais pas pourquoi je voulais à tout prix me dépêcher, c’était absurde, à quoi cela servait de courir, il était là, il était mort, il allait à coup sûr m’attendre sans bouger.

Deux jours auparavant, il était encore vivant. J’étais allé le voir à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, avec l’espoir gênant que ce serait la dernière fois… (p. 9)

Le narrateur est maladroit. On le sent d’emblée désarçonné, comme quelqu’un qui ne comprend pas. La vie le dépasse, mais il s’efforce, il s’applique. Il est débordé, il se noie (sous la pluie, dans la foule des parapluies), il ne comprend pas pourquoi il fait ce qu’il fait. Il sent que ses agissements sont absurdes, mais il continue. Parce que c’est ça, la vie.

Surtout, ces mots: « L’espoir gênant ». Le narrateur est lucide. Il ne peut pas encore agir, mais cette lucidité, on la tient comme une promesse. Il y a de l’espoir pour lui. Et nous sommes curieux de savoir comment il va y arriver.

L’emploi de l’imparfait est important. Il raconte au passé. Cette histoire lui est arrivée, et la peine qu’il prend pour nous la raconter suffit à nous convaincre que le récit vaudra qu’on s’y arrête.

Donc, un narrateur qui parle au JE. Il est vulnérable et lucide, prêt à nous parler honnêtement, même de ses faiblesses. Il vient de perdre quelqu’un (ou quelque chose) d’important. Comme il peut encore nous raconter cette histoire, on a l’assurance que le suivre ne nous mènera pas dans une impasse, qu’il s’est sorti des difficultés. Ce passé permet une distance critique  : « J’allais me tromper tant de fois sur les gens, dans ma vie. » (p. 23)

Et la construction du roman, tournant autour des souvenirs de personnages parfois à peine évoqués, se termine sur le sien, qui résume le roman en 18 lignes. Magistrale démonstration !

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