LETTRES OUVERTES

L’appartenance

Montréal, le 7 août 2010

Monsieur Gil Courtemanche
Le Devoir

Monsieur,

Je lis régulièrement vos chroniques du samedi dans Le Devoir. Souvent, je suis d’accord avec vous. Bien que j’aie parfois des réserves sur votre manière d’aborder les choses, je reste chaque fois touchée par votre style d’écorché vif. La manifestation du dégoût, l’aversion du scandale, les cris de révolte manquent de force et d’acuité, me semble-t-il, ailleurs que chez vous.  Je suis rassurée que des têtes bien faites continuent de hurler, malgré la nuit et l’indifférence générale.

Ce matin, vos propos sur l’appartenance m’ont particulièrement émue.

L’automne dernier, fraîchement rentrée de huit années passées à l’extérieur du pays, je me suis mise en quête d’un nid. Depuis bientôt un an donc, je cherche. Je ne trouve pas, et ne comprends pas pourquoi rien ne m’attire. Contrairement à vous, je ne suis pas une urbaine. J’apprécie les avantages de la ville, mais ne réussis pas à m’installer dans le bruit, le mouvement incessant, l’absence de vue. J’adore la campagne, le fleuve large (la mer) qui permet d’inspirer profondément et de rêver grand. La distance par rapport à celles et ceux que j’aime m’empêche toutefois de l’envisager durablement. J’exècre la banlieue, si laide, et pourtant j’y vis sans la choisir vraiment.

Vous lisant, donc, j’ai mis ce matin le doigt sur ma difficulté. Il me manque le sentiment d’appartenance.

Étrangement, je m’appartenais davantage, et m’étais intégrée dans un milieu où l’on m’avait généreusement accueillie, à l’étranger. Dans le petit canton du Jura suisse où je vivais (un canton qui a réglé cette histoire d’indépendance en 30 ans, cela dit en passant), être Québécoise, c’était déjà quelque chose. Ici, cela ne veut plus rien dire depuis quelques années, n’est-ce pas ? Dans un pays où l’on n’accepte pas facilement les étrangers et où le permis de travail est difficile à obtenir, on m’a spontanément proposé un emploi sur mesure et manifesté une confiance que je ne trouvais pas ici.

En Suisse, j’allais, surtout, rejoindre un homme que j’aimais…

C’est depuis son décès, il y a deux ans, que je suis sans foyer. Lui parti, je ne me sentais plus autant chez moi en Suisse. Rentrée au Québec et désormais près des miens, je me sens toujours un peu étrangère… Je bénéficie d’une petite rente qui me permet de préserver mon temps pour l’écriture mais, du coup, je suis seule : pas de collègues de travail, peu d’obligations professionnelles, des relations par courriel avec les éditeurs, un mince (mais chaleureux) réseau social. Pierre-Alain et moi ne nous appartenons plus que par le deuil et le souvenir. Qu’est-ce que chez moi ? Sentiment de vide.  Je me retrouve apatride, exilée en moi-même. Sans appartenance.

L’appartenance n’est pas que l’enracinement dans un lieu. L’appartenance, c’est d’abord, voire surtout, pour moi en tout cas, l’attachement à une personne, la possibilité d’une intimité. Tout à coup, je réalise que je me sentirai vraiment chez moi, quel que soit l’endroit, pourvu que j’y trouve un semblable à aimer et qui m’aime. (L’amitié, la fratrie, la maternité ne comblent pas, ne combleront sans doute jamais, ce besoin absolu.) Alors ce nid, quel qu’il soit, pourra devenir un creuset où fondre des aspirations et créer.

En attendant, optant pour la banlieue puisque c’est sans importance et que, de là, on est vite à la ville comme à la campagne, j’investirai davantage dans ma relation avec mes proches pour augmenter ma capacité de les aimer, de leur appartenir et qu’ils m’appartiennent.

Il s’agit là, bien sûr, d’une lecture tout à fait personnelle de vos propos. J’ai suivi un filet d’eau qui s’éloignait de la rivière. Je tiens à préciser en vous quittant que j’appuie sans réserve votre dénonciation de mécanismes de subvention qui négligent les régions. J’ajoute que je continuerai à vous lire avec un égal bonheur.

Cordialement,

Danielle Marcotte

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