LETTRES OUVERTES

Indignée par l’inertie du Ministre de la Culture

Un peu plus tôt cette semaine avait lieu en chambre un échange entre M. Maka Kotto, ministre de la Culture, et Mme Christine St-Pierre, porte-parole de l’opposition officielle en matière de culture. Cet échange (dont on peut prendre connaissance ci-dessous) m’a indignée. J’ai donc adressé la lettre qui suit à M. Kotto.

Le dimanche 17 novembre 2013

Monsieur Maka Kotto, Ministre

Ministère de la Culture et des Communications

Édifice Guy-Frégault

225, Grande Allée Est, Bloc A, 1er étage

Québec (Québec)  G1R 5G5

 

Règlementation du prix de vente au public du livre neuf imprimé et numérique

Monsieur le Ministre,

Il y a des jours où l’on ne devrait pas regarder Internet. Le 14 novembre était l’une de ces journées. Je suis triste depuis, parce que j’ai compris cette semaine seulement que vous ne bougeriez pas. Je suis triste et choquée. Comme écrivaine, citoyenne, électrice, consommatrice de produits culturels, à tous ces titres je me vois méprisée. Mon sentiment ne changera rien à votre position, mais je me sens tout de même le devoir de vous faire part de mon indignation. Juste pour pouvoir continuer à écrire, à voter, à vivre sans avoir à me reprocher de n’avoir rien tenté.

Pour avoir suivi sur Internet pratiquement toutes les séances de la Commission consultative sur une réglementation du prix de vente au public du livre neuf imprimé et numérique, j’ai cru que vous aviez saisi l’urgence et la gravité de la situation. J’ai eu un doute sérieux quand j’ai lu les Observations[1] publiées par la Commission suite à ses travaux. Je cite :

1. La Commission reconnaît que des librairies indépendantes au Québec vivent une situation difficile et précaire;

2. La Commission reconnaît qu’il est impératif de tenter de préserver les librairies indépendantes de nos villes, villages et quartiers afin d’empêcher leur hécatombe.

Cela tient en quatre lignes, Monsieur le Ministre. Quatre toutes petites lignes dans un document de neuf feuillets où les pages blanches, de titre et de faux titre comptent pour la plus large part. Ce qui frappe, c’est le nombre de personnes qui, à l’Assemblée nationale, ont travaillé à produire ce résultat. Je frémis à l’idée de ce que cela me coûte, comme écrivaine et citoyenne. Et je suis scandalisée quand je pense au travail non rémunéré qui a été fourni en face : je parle des auteurs, des libraires, des éditeurs, des diffuseurs, distributeurs, des individus et associations qui ont réfléchi sérieusement à la question, qui ont produit des mémoires, qui se sont déplacés jusqu’à Québec pour répondre à vos questions et vous éclairer, vous et vos collègues, sur la situation. Tout cela pour que vous reconnaissiez « la situation difficile et précaire des librairies » (et moi, je ne parle pas que des librairies indépendantes). Se moque-t-on de moi, Monsieur le Ministre ?

En tant que veuve d’un politicien, je sais, pour l’avoir vécu de près, que la politique se pratique autrement. En fait, elle se résume à un mot, un seul : responsabilité. Surtout à votre niveau. Or, la responsabilité commande l’action. Il ne suffit pas de reconnaître. Il faut agir.

Le geste qui vous est demandé d’une voix unanime par l’ensemble d’une profession, je vous le rappelle, ne coûte rien. Bien sûr, il ne garantit pas de sauver tous les meubles. Entre nous, Monsieur le Ministre, dans notre monde changeant, vous voyez des garanties quelque part sur quoi que ce soit, vous ? Par contre, un geste du Ministre donnerait un peu d’air au monde du livre qui travaille déjà très fort et sur tous les fronts pour s’adapter aux changements provoqués par les nouvelles technologies.

Que vous refusiez ce geste en vous repliant sur l’affirmation, faite cette semaine à l’Assemblée nationale, que vous avez tenu la promesse électorale de consulter me heurte. Que vous avanciez comme excuse que Madame St-Pierre, alors qu’elle tenait les rênes de ce Ministère, n’a pas bougé elle non plus insulte mon intelligence. Et si les fonctionnaires du Ministère prennent trop de temps à mûrir leurs dossiers, n’est-ce pas à vous de les fouetter, Monsieur le Ministre ? Cela dit, je ne crois pas que nos fonctionnaires dorment. Je crois qu’ils attendent plutôt un feu vert que vous seul pouvez donner.

Voilà, c’est dit. On m’a parfois reproché de manquer de finesse dans ma manière de dire les choses, de céder à l’emportement. Possible. Cette fois, pourtant, je me retiens depuis le mois de septembre. Mon propos est réfléchi, mais je suis aussi comme un cheval qui rue dans les brancards depuis un peu trop longtemps.  Je n’utilise pas la langue de bois, c’est vrai. Je ne travaille pas en équipe comme les responsables des associations qui me représentent ou défendent mes intérêts d’écrivaine. Il n’y a donc personne autour de moi pour pondérer mon propos. Je n’ai d’ailleurs pas trop envie de le pondérer, puisque c’est depuis mon indignation que je vous parle. J’aimerais penser que nous discutons cordialement, en buvant un café. De choses qui nous passionnent, puisque nous sommes tous deux du monde de la culture. Je ne mettrais pas davantage de gants blancs, je pense que j’en serais capable. Pourtant, si je ne crois pas que mes propos vont vous heurter, c’est parce qu’une part de moi reste convaincue que ma lettre ne se rendra pas jusqu’à vous. Le ferait-elle, ça changerait quoi ?

Voyez à quel niveau de désenchantement et de résignation les agissements de la classe politique peuvent mener la population. Alors que vous pourriez, Monsieur le Ministre, décider de faire la différence. Vous pourriez décider d’agir, d’être une inspiration pour nous. On se prend à rêver que, comme acteur, vous ambitionniez au moins de jouer ce rôle de manière convaincante…

Respectueusement vôtre,

Danielle Marcotte, écrivaine

C.c. :  Madame Pauline Marois, Première Ministre

Madame Marie Malavoy, à titre de députée de Taillon

Madame Christine St-Pierre, députée de l’Acadie

Madame Danièle Simpson, présidente et Monsieur Francis Farley-Chevrier, directeur général, Union des écrivaines et écrivains québécois

Madame Laïla Héloua, présidente, Association des écrivains québécois pour la jeunesse

Madame Gaétane Dufour, présidente, Association des auteurs de la Montérégie

Monsieur Jean-François Bouchard, président, Association nationale des éditeurs de livres

Monsieur Pascal Chamaillard, président, Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française

Monsieur Serge Poulin, président, Association des libraires du Québec

Échange entre M. Maka Kotto et Mme Christine St-Pierre à l’Assemblée nationale, le 14 novembre 2013.

Assemblée Nationale 14 novembre 2013:

Mme St-Pierre:
M. le Président, récemment, le mouvement Sauvons les livres est né. En fin de semaine dernière, l’auteur Michel Tremblay et son éditeur ont exprimé leur grogne, et, mardi devant la Grande Bibliothèque, les gens du milieu ont tenu une manifestation. Depuis plusieurs mois, le milieu du livre lance un cri du coeur. Nous sommes à quelques jours du Salon du livre de Montréal. Les librairies indépendantes ferment les unes après les autres. Le gouvernement péquiste demeure silencieux. En août et septembre, le ministre a tenu une commission parlementaire et entendu tous les acteurs du milieu du livre, il s’est engagé à proposer des mesures concrètes aux 12 000 Québécois qui travaillent dans ce secteur menacé. M. le Président, tout le milieu attend à ce que le gouvernement pose des gestes, le temps presse.
Quelles sont les mesures concrètes que le gouvernement péquiste entend prendre pour sauver de l’hécatombe les librairies indépendantes?
Le Président : M. le ministre de la Culture.
M. Kotto : M. le Président, nous avons tenu une promesse électorale qui était à l’effet de convoquer les acteurs du milieu du livre autour de la table de la Commission de la culture et de l’éducation afin de voir à la pertinence de légiférer sur le plafonnement du prix du livre neuf physique et numérique et aussi d’analyser les impacts positifs ou négatifs sur le plan socioéconomique. L’engagement a été tenu, la commission s’est bien passée, il y a une quarantaine de témoins qui se sont présentés et il y a eu un large consensus à l’effet d’aller de l’avant pour appliquer des mesures qui viendraient sauver notre réseau de librairies agréées au Québec, qui est mal en point. Et ce n’est pas un phénomène spontané, M. le Président…
M. Kotto : …d’aller de l’avant pour appliquer des mesures qui viendraient sauver notre réseau de libraires, de librairies agréées au Québec qui est mal en point. Et ce n’est pas un phénomène spontané, M. le Président. Ma collègue d’en face a été à la tête du ministère de la Culture et des Communications pendant cinq années, et apparemment il ne s’est rien passé lors de son passage dans ce ministère.
Le Président : En terminant.
M. Kotto : Nous travaillons pour apporter des réponses positives…
Le Président : Première complémentaire, Mme la députée de l’Acadie.
Mme St-Pierre : M. le Président, tout ce que le ministre a fait, c’est prendre notre document de consultation, le photocopier et signer la page frontispice, M. le Président, c’est ça qu’il a fait. Il est en poste depuis 14 mois, M. le Président. Les librairies ferment les unes après les autres, le milieu du livre est en crise. Il doit annoncer ces mesures, le Salon du livre arrive. Il doit annoncer des mesures concrètes pour sauver les librairies indépendantes, M. le Président.
Le Président : M. le ministre de la Culture.
M. Kotto : M. le Président, la critique est aisée, mais l’art est difficile. À preuve, en sortant de ce ministère, la ministre n’a laissé aucune trace constructive, aucune trace constructive, dis-je, relativement à la situation de notre réseau de librairies qui s’affaisse, et les signaux étaient envoyés depuis bien longtemps. Le document auquel elle fait allusion n’est pas le produit de son cerveau, c’est le produit de nos fonctionnaires, et le ministère, jusqu’à preuve du contraire, est propriété de l’ensemble des Québécois, pas du Parti libéral du Québec.
Le Président : Deuxième complémentaire, Mme la députée de l’Acadie.
Mme St-Pierre : M. le Président, c’est inconcevable. Le milieu du livre attend des mesures que ce ministre doit proposer. Il doit parler à la table du Conseil des ministres, il doit défendre le milieu de la culture québécoise. C’est ça, son travail, M. le Président.
Dany Laferrière disait : «Si une librairie ferme, c’est le cœur de la ville qui s’arrête.» A-t-il du cœur, M. le Président?
Le Président : M. le ministre de la Culture.
M. Kotto : Oui, M. le Président, comme toute femme et homme politique ici, j’ai du cœur. Nous cheminons avec un mémoire structuré qui a demandé énormément d’investissement et de contributions de plusieurs de mes collègues et nous annoncerons notre position en temps et lieu. Merci.

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