LETTRES OUVERTES

Promotion de la lecture – Congrès SEJ

SEJ – Congrès 11 septembre 2009

Texte prononcé à l’occasion de la partie thématique du Congrès quinquennal du Syndicat des enseignantes et enseignants jurassiens (SEJ). Ce congrès se tenait à la Halle des expositions, à Delémont.

Mesdames, Messieurs,

Quand on m’a approchée, il y a deux ans, pour une première discussion sur le thème de ce congrès, je ne me doutais pas de la tournure que prendrait ma vie entre temps. Ce congrès devait être pour moi l’occasion d’un nouvel élan dans ma mission de promotion de la lecture parmi vous. Ce sera plutôt mon atterrissage. Je vous dis adieu aujourd’hui, et vous remercie de votre accueil, de votre confiance, de votre amitié.

C’est un atterrissage pour moi. Mais… pas pour vous !

Car vous vous envolez. Nous avons affrété un avion pour vous.

Vous voilà tous rassemblés sur le tarmac, sac au dos, stimulé à l’idée du voyage. Assez lucide tout de même face aux inévitables désagréments dus au dépaysement, au décalage, au bouleversement des habitudes. Quelques craintes légitimes, donc, dans le meilleur des cas. Ou alors, bien qu’à deux pas de la passerelle, vous vous demandez pourquoi diable vous devriez grimper dans cet avion.

Ce voyage, vous y consentez parce que vous aimez votre métier. Et vous aimez le faire bien. Aussi êtes-vous d’accord de réfléchir aux enjeux autour de la lecture et au contexte dans lequel s’enseigne désormais la lecture.

L’école a pour mission de former les adultes de demain.

Pour accomplir sa mission, l’école doit encourager l’enfant à se découvrir lui-même, à explorer sa richesse unique. Dans le même temps, elle doit accompagner l’enfant vers une ouverture aux autres ; l’aider à comprendre sa communauté et le monde dans lequel il vit.

L’école doit encore donner à l’enfant les outils qui lui permettent d’apprendre, et lui montrer à s’en servir avec discernement, dans un monde de plus en plus complexe.

Pour accomplir adéquatement sa mission aujourd’hui, l’école ne peut pas se contenter de répéter ce qu’elle a réussi hier. Les succès d’hier sont magnifiques. Mais ils ne sont pas la garantie des succès de demain. Le monde change. La société pour laquelle il faut former les adultes de demain évolue. Or on ne peut pas prédire avec certitude les chemins qu’elle prendra. C’est pourquoi l’école doit prioritairement s’atteler à la tâche de montrer aux enfants comment apprendre, de manière qu’ils puissent s’adapter. « Apprendre à apprendre » : voilà ce que l’école doit enseigner.

Pour permettre à l’enfant d’apprendre à apprendre, l’école doit donc stimuler chez lui le désir d’apprendre. Désir d’apprendre : maîtres mots de notre mission. Il conviendrait d’examiner régulièrement nos pratiques et de nous demander comment, et si, ces pratiques mettent nos élèves en état de « désir d’apprendre ». Parce que sans le désir d’apprendre, l’apprentissage est difficile.

Comme les mathématiques, l’histoire, l’éducation physique, la musique, les sciences, et les autres matières enseignées à l’école, la lecture est un outil qui permet à l’enfant d’aller à la découverte de soi et du monde. À ce titre, l’apprentissage de la lecture est une compétence comme une autre que l’école a pour mission de permettre à l’enfant de maîtriser.

La lecture, c’est aussi autre chose.

La lecture est une rencontre. Une rencontre intime qui a lieu au plus secret de soi. Une rencontre qui fait écho, qui donne du sens, de la perspective. Une rencontre sur laquelle, hélas, (ou plutôt heureusement) nous n’avons pas de prise. Une rencontre sans laquelle l’apprentissage n’est souvent qu’un exercice visant à retenir une information vide de sens assez longtemps pour pouvoir la régurgiter au contrôle et obtenir un satisfecit.

Comme enseignants et bibliothécaires, comme médiatrices et médiateurs de la lecture, nous sommes des agents de voyage. Nous proposons des destinations où nous espérons que se produiront / des rencontres. Idéalement, nous avons visité les paysages que nous proposons. Nous en connaissons les formes, les parfums, la lumière, la musique. Nous avons échangé avec les gens qui les habitent. Nous évoquons aisément la douceur du vent, le clapotis de l’eau, le chant des oiseaux à certaine heure. Nous pouvons donc en parler avec émotion, avec conviction.

Mais l’expérience que fera tel ou tel élève de ce paysage ne sera jamais identique à la nôtre. Parce que le vent soufflera différemment ce jour-là, la lumière sera plus diffuse ; ou parce que l’enfant posera un regard d’enfant sur le paysage que nous avons fréquenté en adulte ; ou qu’il posera le regard d’un enfant d’aujourd’hui, sur le paysage que nous avons reçu avec les yeux d’un enfant d’hier. Par définition, donc, la qualité de ces rencontres ne peut pas être assurée, évaluée, contrôlée. Toutefois, le rôle de l’école est de proposer des voyages où de telles rencontres sont possibles.

Comme des agents de voyages, nous devons pouvoir proposer mille destinations à nos élèves. Plus nous en proposons, plus grandes sont les chances que chacun découvre le paysage qui lui parle. Celui où s’effectuera une vraie rencontre. Celui qui sera une révélation. Celui qui lui donnera l’envie de recommencer, de faire d’autres voyages aussi riches.

Tel est notre rôle. Mettre l’enfant en état de désir de lire. Rien que cela, mais tout cela.

Au moment de fixer le thème de ce 6e congrès quinquennal, notre syndicat s’est donc intéressé à cette question cruciale de la place de la lecture à l’école.

Bien sûr, les résultats de la Suisse et du Jura aux tests PISA ne sont pas étrangers à nos préoccupations.

Dans le même temps, s’est fait sentir dans le Jura, comme en Suisse romande et à l’étranger, une impulsion visant à augmenter la place de la lecture à l’école. Le Service de l’Enseignement créait une charge de mission pour la promotion de la lecture à l’école obligatoire.

Par ailleurs, la conscience aigue des exigences d’entrée dans la société des technologies et de l’information exerce une pression sur l’école. On ne peut pas l’ignorer. On ne peut plus se contenter de montrer à lire aux élèves. Il faut désormais former des lectrices et des lecteurs experts, c’est-à-dire des personnes qui sachent lire une grande variété de textes dans une grande diversité de formats sur une quantité appréciable de supports, chacun ayant ses codes et ses exigences propres ;

L’approche traditionnelle a des limites : apprendre le code, réciter les classiques, ne conduisent pas nécessairement à la maîtrise de la lecture. Or, nous partageons la conviction que la maîtrise de la lecture est une condition facilitant tous les autres apprentissages et favorisant l’intégration dans la société.

Ce congrès est donc pour nous, agents de voyage, l’occasion de faire le point sur notre offre :

– Prenons le temps de nous demander si nous allons dans la bonne direction, et ce que voulons-nous pour l’avenir.

– Réfléchissons, avec nos conférenciers, Mme Michèle Petit et M. Stéphane Hoeben, à ce qu’est la lecture au juste et à la place que nous souhaitons lui voir prendre dans l’école jurassienne.

– Passons à l’action. Au-delà des mots, quelle place le livre et la lecture occupent-ils concrètement, physiquement, affectivement, dans la vie et l’organisation de nos écoles ? Le regard du visiteur, entrant dans notre école, se pose-t-il d’emblée sur des tableaux d’affichage proposant des livres ? Nos bibliothèques sont-elles bien situées, au cœur de l’école, sur le passage des élèves, ou tout entassées sous les combles ou au bout d’un sombre corridor au sous-sol ? Sont-elles aérées, entourées de fenêtres et de vitrines qui en font des lieux lumineux, attirants, où l’on sent battre la vie ? Les coins de lecture dans nos classes sont-ils accessibles ou dans des armoires sous clés pour protéger les livres ? Que choisit-on entre la visibilité d’un coin lecture accessible dans un corridor d’école et les soucis d’entretien du concierge ? Achetons-nous nos livres chez le libraire du coin, pour soutenir l’existence de librairies de proximité, ou commandons-nous nos livres en France ?

Ce congrès est aussi l’occasion:

– De prendre connaissance du matériel d’animation mis à la disposition des écoles jurassiennes par la HEP-BEJUNE ; venez le consulter.

– De vous munir des catalogues de la rentrée et de cueillir le matériel offert par les éditeurs (affiches, signets, livres) ;

– De visiter le Bibliobus qui sillonne d’habitude le canton le vendredi, mais s’est posé aujourd’hui à l’entrée de la Halle des expositions, tout spécialement pour nous.

Ce congrès est enfin l’occasion de célébrer la sortie d’un ouvrage attendu : D’ardoise et de plume.

Mesdames, Messieurs, je vous prie de redresser le dossier de votre fauteuil et d’attacher votre ceinture. Notre avion est prêt pour le décollage.

Je nous souhaite un bon vol, et vous remercie de votre attention.

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